top of page

​CORRIGE : Etude critique d'un texte sur la guerre du Vietnam

La difficulté de ce texte tenait à sa structure : il contenait en fait deux documents en un, ce qui compliquait sa présentation et son analyse, car l’auteur, la nature, le but, la date et le contexte sont très différents.

En dehors de cela, le contenu était assez facile à comprendre si on maîtrisait bien le cours sur la guerre froide et la guerre du Vietnam et les références à commenter très nombreuses. On n’attendait pas forcément une explication exhaustive, mais plus que vous donniez quelques exemples bien expliqués pour montrer à la fois votre compréhension globale de la consigne, des événements et votre maîtrise de la technique du commentaire.

 

          En 1996, 5 ans après la dissolution de l’URSS et donc dans un contexte de fin de la guerre froide, Robert Mac Namara, ancien secrétaire d’Etat – ministre – à la Défense des présidents américains Kennedy (1961-63) et Johnson (1963-69) publie ses mémoires intitulées Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons. Il s’agit d’un témoignage personnel sur des événements vécus et auxquels il a contribué du fait de ses hautes fonctions qu’il destine au grand public. Il souhaite partager des « révélations », comme le montre cet extrait dans lequel il cite une note de la CIA, un document confidentiel de l’agence d’espionnage américaine. Son but est de permettre à la population américaine, mais aussi mondiale, de mieux comprendre la guerre du Vietnam qui s’est déroulée de 1963 à 1975. C’est donc une source très intéressante pour les historiens, puisqu’il révèle ainsi un écrit secret qui a servi aux quelques hommes les plus puissants des Etats-Unis à prendre des décisions au cœur de ce conflit.

          Si l’analyse de MacNamara dans ses mémoires est très postérieure aux faits, et donc déformée par le temps et surtout la connaissance de la suite des événéments, la note de la CIA date de 1964 et est donc contemporaine de l’affrontement. Celui-ci s’inscrit dans le contexte de la guerre froide, qui déchire le monde depuis 1947 et qui voit les Etats-Unis se disputer la domination mondiale avec l’URSS. Chacun des deux Grands tentent, aidés de leurs alliés, d’imposer au monde leur modèle politique, économique, culturel et social : la démocratie libérale pour le bloc occidental américain et le communisme pour le bloc oriental soviétique. Cette guerre prend la forme d’une immense compétition sur tous les plans et ne voit jamais les deux superpuissances s’affronter directement en raison du risque de guerre nucléraire mondiale. En revanche, ces tensions provoquent des guerres périphériques entre et avec leurs alliés comme c’est le cas au Vietnam, en dépit d’une relative détente entre les deux Grands depuis 1962.

          Aussi pouvons-nous nous demander dans quelle mesure ce document illustre les logiques de la guerre froide à l’œuvre dans la guerre du Vietnam. Pourquoi permet-il de voir qu’il s’agit à la fois d’une guerre de puissances (une guerre classique entre deux Etats puissants qui s’affrontent sur le plan militaire pour augmenter leur influence) et aussi d’une guerre idéologique (guerre politique qui vise à diffuser son modèle d’organisation politique, économique et sociétal) ?

 

* *

*

          La guerre du Vietnam est d’abord une guerre classique de puissances qui s’affrontent d’abord sur le plan militaire.

          Depuis son indépendance en 1954, le Vietnam est partagé en deux selon le 17e parallèle : au nord, la République Démocratique du Vietnam communiste est dirigée par Ho Chi Minh, tandis que la République du Vietnam au sud est un régime autoritaire et corrompu soutenu par les Etats-Unis. Or depuis 1959, le nord veut étendre sa domination au sud, ainsi qu’y fait allusion le texte en parlant des « objectifs nationaux » du Nord Vietnam (l. 11-12). Pour ce faire, il s’appuie sur les communistes du sud regroupés dans le Vietcong.

          Cet affrontement armé a conduit les Etats-Unis à intervenir aux côtés de son allié du Sud : « Les Etats-Unis se sont engagés depuis longtemps, énergiquement et publiquement, à empêcher une prise du pouvoir communiste dans ces deux pays » (l. 6-7). Effectivement, dès 1960 ils ont envoyé aux sud des instructeurs militaires et des armes, mais ce n’est que depuis 1964 que les Etats-Unis sont publiquement – mais sans déclaration de guerre officielle - entrés dans le conflit par le moyen de 20000 hommes environ. Quant à l’autre camp, c’est de la Chine qu’il reçoit des aides militaires (l. 12-13). Celle-ci, communiste depuis l’arrivée de Mao au pouvoir en 1949, est une puissance avec laquelle il faut compter dans le bloc est même si ses relations avec l’URSS se font plus tendues depuis la fin des années 1950 (différences de stratégies évoquées l. 17-18).

          Il s’agit très classiquement pour les deux puissances de défendre leurs intérêts militaires et géostratégiques en Asie : le texte parle en effet d’une victoire du Nord qui « détériorerait gravement la position américaine en Extrême-Orient » (l. 5-6) ou encore d’un échec qui « serait dommageable au prestige américain » (l. 8), tandis qu’une victoire de la Chine « augmente[rait] son prestige » (l. 13).

          Ce texte décrit bien un épisode d’une guerre mondiale sans volonté d’affrontement massif : « sans trop de risques de précipiter une guerre internationale majeure » (l. 17) Effectivement, la crise des missiles à Cuba en octobre 1962 a fait comprendre aux Etats-Unis et à l’URSS mais aussi aux grandes puissances nucléaires la nécessité de se contenir pour éviter un conflit atomique.

          La dernière phrase de cet extrait des mémoires de Mac Namara est une allusion à la défaite miltiaire des Etats-Unis dans le conflit : « nous avons continué à glisser le long de la pente savonneuse » (l. 23). Après s’être embourbés pendant de nombreuses années dans cette guerre, le président Nixon décide finalement le retrait des troupes américaines à partir de 1973. C’est le premier échec militaire américain.

 

*

          Toutefois, ce conflit n’était pas uniquement et d’abord militaire, mais bien idéologique à l’image de la guerre froide.

L’ensemble de la note de la CIA illustre la « politique du containment » (l. 22) américaine qui a pour objectif d’empêcher la propagation du communisme : les Etats-Unis se sont engagés (…) à empêcher une prise du pouvoir communiste » (l. 6-7), la « capacité des Etats-Unis à contenir l’expansion du communisme ailleurs dans la région » (l. 9). Tout au long de la guerre froide, les Etats-Unis n’ont cessé d’attaquer le modèle communiste fondé sur l’absence de propriété privée (nationalisation de tous les moyens de production) et la très forte intervention de l’Etat dans l’économie et la société, critiquant notamment l’absence de libertés des habitants sur le plan politique (parti unique, impossibilité d’exprimer son opposition au modèle en place). Ils lui opposent leur modèle fondé sur le capitalisme (propriété privée, recherche du profit), le libéralisme (non intervention de l’Etat dans l’économie) et la démocratie libérale (pluripartisme, liberté d’expression…).

          Cette volonté d’endiguer le communisme développée dès 1947 par le président Truman s’explique par la théorie des dominos évoquée par Mac Namara : il parle des « probabilités d’un effet ‘domino’ en Asie orientale en cas de chute du Sud-Vietnam » (l. 2-3). Selon cette théorie, la victoire communiste dans un pays entrainerait une réaction en chaîne analogue dans les pays voisins.

          Cette lutte, plus qu’une lutte militaire, est donc une lutte d’influence idéologique où les puissances recherchent plus de « prestige » (l. 8 et l. 13) et utilisent la « propagande » (l. 14) pour parvenir à leurs fins. La note de la CIA révèle ainsi quelques idées diffusées par la propagande chinoise (l. 14-17) et notamment l’idée que les Etats-Unis seraient un « tigre de papier », c’est-à-dire une puissance de façade. Effectivement, cette image évoque de façon très visuelle l’iconographie de la propagande visible de la guerre froide que l’on retrouve sur les affiches, mais aussi dans les medias et au cinéma et dans laquelle l’ennemi est tantôt diabolisé, tantôt ridiculisé afin de convaincre la population de le détester et de le combattre sans merci.

 

* *

*

          Ce document est donc une source intéressante pour réaliser une étude de la guerre froide. Il révèle après coup la façon dont les dirigeants américains percevaient la situation en Asie, les tenants et les aboutissants de l’intervention armée au Vietnam, montrant que sous des apparences de conflit militaire, les Etats-Unis, à l’image de leur position tout au long de la guerre froide, cherchaient avant tout à contrer l’expansion de l’idéologie communiste. Le texte s’achève par une allusion à la défaite américaine, liée aux conditions particulières du conflit (guérilla dans un milieu de forêt dense peu accessible) et à l’opposition massive de l’opinion publique américaine et mondiale face à l’intervention très meurtrière des Etats-Unis.

          Il est toutefois regrettable qu’il ne parle que du début du conflit (1964) et il reste insuffisant pour un historien qui devrait analyser également le point de vue vietnamien (nod et sud) et chinois, voire soviétique pour parfaire son étude.

bottom of page